Edgaras Jankauskas

"RMC : raconter ma chute.
C'est bien le but de cette chronique."
Lorsque l'on regarde jouer Edgaras
Jankauskas, on comprend tout de suite que ce garçon a raté
sa vocation. Non pas qu'il soit mauvais footballeur, non... enfin
pas tant que ça. Mais que d'autres sports lui auraient
parfaitement convenu. Avec une taille pareille on peut penser
au basket-ball ou même au volley-ball. Mais c'est mal connaître
le joueur. Vraiment, quiconque ayant vu quelques uns de ses matchs
et suivi du coin de l'oeil sa carrière a pu se rendre compte
de la trajectoire parabolique de cet homme. Au propre comme au
figuré.
Son élément à lui n'est pas la terre, non,
mais bien l'air. Et il est clair que c'est bel et bien du ciel
que son salut aurait dû venir. Tout petit déjà,
Edgaras admirait les cosmonautes et aviateurs de son Union Soviétique
natale. C'était en 1975 et avec Brejnev au pouvoir, aucun
Lituanien ne pouvait décemment rêver d'indépendance.
Tout juste pouvaient-ils contempler les exploits aériens
des champions du Régime. Et notre ami n'y échappait
pas. Malheureusement pour lui, c'est un sport plus terre-à-terre
qui le rattrape : le football.
"Je t'assure, Edgaras,
t'as vraiment le look d'un astronaute comme ça."
Notre lituanien a préféré
se résigner finalement et a accepté de rester sur
le plancher des vaches. Mais pas question pour lui de se couper
totalement de son rêve. Non, Edgaras est prêt à
faire de sa carrière et de ses prestations en match un
symbole de son idéal aérien. Et comme pour les cosmonautes
qu'il admire, sa carrière met du temps à décoller.
Ses quatre premières saisons au FK Zalgiris Vilnius sont
discrètes mais la cinquième s'annonce comme un décollage
immédiat vers la stratosphère footballistique. 25
buts en 27 matchs, un ratio impressionnant qui fait de lui une
star au pays.
"Scream for me Vilnius
!"
Il prend alors le chemin de la
Russie, pays de ses idoles d'enfance, les héros de Baïkonour
qui ont installé la station Mir en orbite terrestre. D'abord
au CSKA Moscou en 1996, où il ne joue que 18 matchs en
inscrivant 9 buts, avant d'être transféré
au Torpedo Moscou l'année suivante. Davantage de matchs
mais un but de plus seulement. Son ascension semble alors freinée,
il doit lâcher du lest et donc quitter la Russie. Son avenir
est en Europe occidentale et c'est en Belgique que notre cher
Edgaras se pose en 1997. Le FC Bruges l'accueille les bras ouverts.
Le Lituanien est heureux mais remarque que la Belgique compte
davantage de parachutistes que d'astronautes. Sa volonté
d'intégration le pousse à modifier son idéal,
sans en changer l'essence mais en conservant sa forme. Les parachutistes
montent sans doute moins haut, mais il le font plus souvent. Avec
cette nouvelle philosophie, il devient un élément
incontournable de la sélection Lituanienne.
"Déguisé
en canari je vais peut-être réussir enfin à
m'envoler."
Trois années en Belgique
ne suffiront malheureusement pas à son bonheur et sa carrière
semble alors en phase descendante. Mais Edgaras sait comment éviter
la chute...du moins pour l'instant. La Real Sociedad le veut et
il y signe en 2000. Seule sa deuxième saison y est complète.
Il joue 28 matchs et marque à 11 reprises. Pourtant, au
mercato de la saison suivante, le club le cède au Benfica
Lisbonne. Passer de l'Espagne au Portugal est un peu comme une
échec pour lui. Il croit alors à l'apodose de sa
carrière et se voit tomber de plus en plus bas. Comme les
astronautes et les parachutistes qu'il aime tant, il sait qu'il
faut bien finir par redescendre. C'est à cette époque
qu'il prend conscience qu'au football, la chute est possible aussi.
Il choisit alors de l'accomplir pour de bon. Même sur le
terrain. Il en fait même sa spécialité.
C'est là que tu dois
tomber
Mais alors qu'il ne croit plus
à ses chances de retrouver les sommets, le rival nordiste
du Benfica, le FC Porto de José Mourinho, l'engage. Et
Edgaras va y passer deux années sur un nuage. Il va même
toucher les étoiles, le rêve de sa vie. En 2003,
c'est le titre de champion, la coupe et la Coupe de l'UEFA qu'il
remporte. Il se plait toujours à tomber mais aime alors
atterrir sur les autres, juste pour leur montrer à quel
point une chute peut faire mal.
"Le plus dur n'est pas
la chute, mais l'atterrissage !"
En 2004, il récidive en
remportant à nouveau le championnat et en atteignant les
plus hautes cîmes du football européen avec la victoire
de son club en finale de la Ligue des Champions face à
Monaco. Le Lituanien plane : pour la première fois, il
a l'impression de voler.
"Fly me to the moon..."
Après deux saisons admirables
avec plus de soixante matchs joués au total, Edgaras croit
qu'il va rester au sommet. Il en est sûr. Et quand le FC
Porto le prête à Nice la saison suivante, le Lituanien
croit que c'est pour aller espionner des Monégasques qui
préparent peut-être leur revanche. Il ne se rend
pas compte que tout le Portugal se gausse dans son dos de son
vilain sort.

"Nyark, Porto m'envoie
jouer les espions !"
A Nice, celui-ci ne démérite
pas. Il est associé à deux autres délices
de pieds carrés, grands et épais comme lui, qui
composent l'attaque azuréenne : Victor Agali et Roland
Linz. Son physique impressionne mais son goût pour la chute
libre ne fait pas recette. En réalité, il occulte
le fait que c'est bien sa carrière qui est en chute libre
! 21 matchs de Ligue 1 et zéro but marqué plus tard,
Edgaras doit retrouver le Porto de son coeur. Mais c'est sa Lituanie
natale qui l'accueille. Le FBK Kaunas plus précisément.
Une saison correcte qui lui permet, en 2005, de trouver un vrai
point de chute. Un lieu ou il retrouvera nombre d'égarés
du football dont la carrière a pris une courbe descendante
irrémédiable. Oui, c'est bien l'Ecosse qui lui ouvre
ses portes. Un pays qui fait sans doute office de paradis des
pieds carrés. Et où notre Lituanien désespéré
va finalement trouver un bonheur sain, réaliser enfin sur
le terrain ce qu'est en train de connaître sa carrière
: un crash phénoménal.
Eden des pieds carrés,
l'Ecosse est une terre ou les chutes du Lituanien peuvent même
être synchronisées avec celles d'autres rois de la
loose.
Dans le club de Heart of Midlothian,
Edgaras a désormais perdu tout espoir d'ascension. Il y
a appris à accepter son déclin. Il lui arrive même
de s'en amuser en feintant des gamelles annoncées. Le second
degré qui l'habite, il le communique même à
ses partenaires, qui le félicitent lors des ses (rares)
atterrissages dignes des plus grands parachutistes.
"Atterrissage réussi...
pour une fois !"
Et lorsqu'il lui arrive encore
de tomber violemment, il ne manque jamais de se faire accompagner
par ses adversaires qui, souvent, lui servent de points de chute.
"Eh mec, t'as déjà
vu Drop Zone ?"
Bref, s'il existe une seule expression
pour qualifier le destin de notre ami lituanien, c'est "chute
libre". Lui qui a tant rêvé d'être astronaute,
puis de ressembler aux plus grands voltigeurs, n'a pu laisser
dans les mémoires que cette phase descendante qui caractérise
les carrières paraboliques comme la sienne. Son passage
dans notre championnat fut certes court, mais il aura confirmé
cette sublime propension à tomber de haut le plus vite
possible. Aujourd'hui il l'assume et s'en amuse. Qu'il se rassure,
il ne peut désormais plus chuter plus bas.
Son match parfait
Notre Lituanien est heureux.
Dans son nouveau club de Heart of Midlothian a débarqué
un de ses anciens coéquipiers à la trajectoire tout
aussi parabolique que la sienne : Derlei. Trop content de le retrouver
à ses côtés à la pointe de l'attaque,
Edgaras réalise une année fabuleuse, se nourrissant
des plongeons dans la surface de son adversaire pour inscrire
pas moins de vingt-deux penaltys en une seule saison. Arrivée
en finale de la coupe d'Ecosse, son équipe est malheureusement
privée du Brésilien palmé et obtenir la victoire
face au Celtic de Glasgow semble donc difficile. Et pourtant c'est
bien d'un penalty que vient le salut. Un penalty involontairement
provoqué par Jankauskas lui-même ! Trop heureux d'avoir
pu retrouver les sommets d'une compétition, notre ami a
choisi ce match pour remémorer au public écossais
à quel point sa chute fut brutale en accumulant les sauts
et les gamelles en solitaire et accompagné, juste pour
le plaisir de se sentir planer au sens propre du terme. Seulement
c'est bien dans la surface que l'une de ces chutes a lieu. Et
sans s'en rendre compte, le Lituanien induit en erreur l'arbitre
qui accorde à Heart le penalty de la victoire. D'un plat
du pied nonchalant, Edgaras terrasse le portier du Celtic et offre
à son club un titre inespéré, et à
lui-même son dernier frisson. Toucher les étoiles
une dernière fois : il y est parvenu, même si ce
ne sont que celles de l'Ecosse. Qu'à cela ne tienne, c'est
de la tribune présidentielle où il est allé
chercher la coupe qu'il offre au public une dernière chute
libre, un slam monumental digne des plus grands concerts de rock
et des plus beaux parachutages, celui qui marquera à jamais
la carrière de ce lituanien volant... et en signera également
la fin avec un malheureux séjour à l'hôpital
qui pendait au nez du garçon depuis bien trop longtemps.

"Putain, comment
t'as fait pour survivre à une telle chute ?"
T-Ray
04-01-2007