Brahim Thiam

"You're talking to me ?"
Mettons nous d'accord tout de suite
sur le cas de Brahim Thiam. Oui, il s'agit d'un solide stoppeur.
Oui il démontre une certaine aisance dans l'anticipation
et dans le placement. Oui il fait preuve d'une indéniable
régularité, du moins dans l'enchaînement des
matchs (pour ce qui est de ses tacles en revanche...). Et pourtant,
pourtant, comme le chantait Charles Aznavour, Brahim Thiam mérite
sa place au panthéon des équarisseurs du football.
Certes, il n'est pas non plus du genre à obtenir un premier
prix de boucherie au salon de l'artisanat - n'est pas Sidi Keita
qui veut - mais il a largement fait ses preuves dans le domaine.
Vous-en doutez encore ? Très bien, alors place aux faits.

De faux airs de Samuel Eto'o.
Enfin surtout pour le maillot... et les oreilles.
Ceux qui ne retiennent que le bon
côté du Franco-malien se concentrent davantage sur
ses années passées en deuxième division (ou
en National, ou en CFA !). Car elles sont nombreuses. En effet,
celui-ci a pas mal roulé sa bosse, tout en en causant à
ses adversaires. Mais c'est bien au cours de son passage au sein
de l'élite que le natif de Bobigny s'est montré
le plus transcendant piedcarresquement parlant. En effet, c'est
à ce niveau-là, où les arbitres sont les
moins indulgents, que le côté brutal du défenseur
s'est principalement révélé. Et ce bien malgré
lui. Car Brahim Thiam fait partie d'une catégorie unique
de bouchers : les maladroits. On savait déjà cette
qualité courante chez les rois de la loose, mais certaines
brutes à crampons l'ont également développée.
En vérité, plus que
de maladresse, c'est d'un manque de maîtrise de soi dont
souffre le défenseur. C'est à des instants bien
précis au cours des matchs que celui-ci perd le contrôle
de son corps et que ce dernier, ne répondant qu'à
un pur instinct destructeur, ne guide soudainement ses semelles
en direction des membres inférieurs de l'adversaire. Des
tics irrépressibles qui ont maintes fois causé des
soucis à notre ami. Dès son enfance, cette violence
enfouie n'a pas manqué d'interroger ses parents et son
médecin : possession ? Syndrôme Gilles de la Tourette
? Ou bien le petit Brahim ne serait autre que la résurrection
d'un berserk scandinave ? Rien de tout cela. Juste une défaillance
psychomotrice caractérisée, matérialisée
par de puissants tics agressifs envers ceux qui lui font du tort.
A partir de là, une thérapie salvatrice s'imposait
: le sport, chemin privilégié vers le self control
et l'accomplissement physique.

"Aujourd'hui j'aide au
dépistage de ces tics chez les enfants qui en souffrent."
Ainsi le jeune garçon s'oriente
vers le football, discipline qu'il croit la plus à même
de corriger cette tare plutôt gênante. Quatre saisons
à Montpellier, son club formateur, entre 1991 et 1995 semblent
très vite attester de ses progrès dans sa lutte
contre ses accès de brutalité. Mais pas suffisamment
pour lui permettre d'évoluer en première division,
ses interventions musclées sous l'influence de son inconscient
étant encore beaucoup trop destructrices. Direction donc
le championnat de France amateur, ou les bourrins sont légion,
et le club de Saint-Denis Saint-Leu, aujourd'hui disparu (R.I.P).
Mais cette saison en CFA lui fait du tort car, entouré
de maîtres ès mutilation, Brahim ne parvient pas
à réfréner ses gestes brusques. De plus,
le défenseur commence à développer de vraies
qualités de stoppeur, notamment une propension à
anticiper les mouvements adverses. Son évolution nécessite
donc un niveau plus exigeant, d'abord sur le plan technique.
C'est pourquoi il part en Espagne,
où il pourra s'aguerrir dans ce domaine face aux vifs attaquants...
de la Segunda, la D2 locale. A Levante tout d'abord, en 1997/1998,
puis à Malaga la saison suivante. Devenu plus complet,
Brahim choisit de revenir en France. Mais pas question de prendre
la grosse tête et de se lancer dans une compétition
trop ambitieuse. Le joueur voit encore sa carrière comme
une forme de thérapie. Il faut donc qu'elle soit progressive
et c'est le championnat National que celui-ci rejoint en 1999,
avec le vénérable club du Red Star. De moins en
moins brutal et de plus en plus serein, Brahim rassure en défense
centrale. Mais il ne peut empêcher la relégation
de son équipe en CFA à l'issue de la saison 2000/2001.
Le défenseur en a assez, il ne veut pas descendre mais
monter. De plus le FC Istres lui fait les yeux doux. C'est décidé,
Brahim Thiam jouera la saison suivante en Ligue 2.

"Red is dead, se dit Brahim
(gare à la prononciation...), je quitte le club !"
Au sein du club provençal,
tout va très vite pour le Franco-malien. Parvenant toujours
plus à contenir sa brutalité et à améliorer
ses qualités défensives, il s'ouvre de nouvelles
portes. Celles de la sélection du Mali notamment, avec
laquelle il participera à nombre de compétitions
comme la Coupe d'Afrique des Nations et les éliminatoires
de la Coupe du Monde. Parallèlement à cela, il devient
l'homme de base de l'axe istréen durant les trois saisons
en Ligue 2, en particulier celle de la montée en Ligue
1, en 2003/2004.
Oubliés les débordements
brutaux du Thiam des débuts ? Eh bien non ! Car la saison
2004/2005 en L1 se trouve être un festival, au cours duquel
son "ça", qu'il s'était acharné
à contenir, reprend brutalement possession de son corps.
Résultat : sept cartons jaunes, un carton rouge et un but
contre son camp, au cours de l'inoubliable déroute 8-0
subie face au LOSC de Matt Moussilou (un match d'anthologie pour
la team piedscarrés). Les victimes ? Pêle-mêle
citons Luigi Glombard, Babacar Gueye, Abdeslam Ouaddou, Habib
Bamogo, Nilmar et Rudy Riou, son propre gardien (ben oui, le csc),
tous assaillis par le côté obscur incontrôlable
de ce cher Brahim, responsable de méchants tacles par derrière,
d'infâmes coups de crampons, de vilains crocs-en-jambe et
de frictionnages réguliers avec ses adversaires. De quoi
donner des sueurs froides à Mehmet Bazdarevic, son coach
du moment. Sur 30 matchs, une bonne moitié se voient entachés
de gestes plus que réprimandables et de maladresses involontaires.
Brahim Thiam en pleine perte
de ses moyens. Tête ? bras ? genou ? pied ? Lui même
ne le sait pas.
Bref une saison noire pour le défenseur,
et pour son club qui se voit relégué en L2. Un événement
finalement salvateur pour notre ami puisqu'il quitte Istres pour
Caen, autre club relégué, dès le début
de la saison suivante, et où le numéro 4 finit par
reprendre le dessus sur son inconscient destructeur et à
maîtriser de nouveau ses tics agressifs. Grâce à
sa propre volonté mais aussi grâce à ses coéquipiers
qui savent comment le ramener à la raison en cas de gestes
brutaux à l'entraînement.

"S'il vous plaît
les gars, m'allumez pas ! Pas encore une fois !"
Voilà désormais deux
saisons que Brahim évolue à Caen et qu'il joue plutôt
bien. Mais le démon de la Ligue 1 est de plus en plus proche.
Reste à présent pour lui à savoir surmonter
son côté sombre une bonne fois pour toutes afin de
montrer à l'exigeant public du championnat de France qu'il
n'est pas qu'un pantin agressif digne des romans de R.L. Stine,
dominé par ses défaillances psychomotrices et son
instinct brutal.

"Et puis si ça ne
marche pas, je me mets au cyclisme. J'ai déjà le
maillot."
Son match parfait
De retour en Ligue 1 avec
le Stade Malherbe de Caen, Brahim Thiam est partagé entre
la joie de retrouver l'élite et la crainte de retomber
dans ses travers qui avaient pourri sa saison istréenne
en 2004/2005. Pour son premier match, ce n'est autre que le sextuple
(ne voyons pas trop loin...) champion de France lyonnais que les
Caennais reçoivent. Celui-là même contre qui
le franco-malien avait connu un cauchemar, au cours d'une rencontre
où avec Istres, il était parvenu à tenir
le 0-0 mais s'était fait expulser suite à un malencontreux
tacle les deux pieds décollés sur Nilmar.
Mais désormais il est à Caen, avec une expérience
et une maîtrise de soi renforcée. Au premier duel
venu pourtant, Brahim cisaille le pauvre Ben Arfa alors que celui-ci
venait de le déborder. L'arbitre, ferme, lui adresse d'emblée
un carton jaune mais le coup franc qui s'annonce représente
un grand danger, surtout avec Juninho à la manoeuvre. N'écoutant
que son courage, notre ami choisit de réparer son erreur
en se lançant au devant de la frappe du brésilien.
Ayant reçu le ballon en plein visage, Brahim reste KO quelques
minutes avant de reprendre sa place.
Groggy durant la plus grande
partie du match, il n'est pas vraiment dans le coup et se fait
mystifier par tous ses adversaires. C'est donc un miracle que
le club caennais parvienne encore à garder le match nul
et vierge. Les uniques interventions du défenseur se résument
à des agressions involontaires sur les Lyonnais. Sous la
menace constante d'un deuxième jaune, Thiam parvient à
rester sur le terrain jusqu'à la 89ème minute. A
cet instant du match, ses tics ont quasiment repris le dessus
sur son corps et c'est miraculeusement que notre ami parvient
à monter jusqu'à la surface adverse pour l'un des
derniers corners de la partie.
Le centre de Grégory
Proment se dirige directement sur François Clerc quand
le côté obscur de Thiam ressurgit, lançant
violemment ses crampons en direction du genou du Lyonnais. Ce
dernier, voyant venir le drame à temps, parvient à
l'éviter et la semelle du Franco-malien percute alors...
le ballon, surprenant tout le monde, et envoyant celui-ci au fond
des filets de Grégory Coupet. Brahim n'en revient pas,
le stade Michel d'Ornano non plus, et le défenseur caennais
laisse alors éclater sa joie, lui qui n'aurait jamais cru
que son défaut comportemental eut permis un jour à
son équipe de remporter un match. Et quel match !
T-Ray
19-02-2007